Archives de tags | homosexualité

Ferveur

20 jours aujourd’hui que je n’ai pas publié d’article sur ce blog !

20 jours de plus que je vis, respire, mange et jouis de la Turquie !

Comme ailleurs, le travail associatif, en particulier dans des domaines qui intéressent peu la puissance publique (voire qu’elle réprouve), implique un don de sa personne qui s’accompagne, parfois du renoncement à un salaire ou à une rémunération quelconque. Mon stage chez SPoD ne fait pas exception. J’ai donc commencé un emploi de serveur au « café français », le café situé dans l’enceinte du consulat général de France à Istanbul, mitoyen de l’Institut français et de sa riche médiathèque.

Café français

Hormis un salaire léger (je suis payé moins de 2€50 de l’heure, plus que le SMIC turc!), ce petit boulot a l’insigne intérêt de me faire côtoyer des turcophones. Certes, je fais usage de mon allemand et de mon anglais parfois, certes le nombre de client.es francophones est plus important que dans d’autres cafés d’Istanbul. Mes collègues sont néanmoins tous turc.ques et seule une minorité parle (un peu) anglais. Les client.es sont le plus souvent turc.ques et je dois donc, sur un vocabulaire et des thèmes restreints, parler et comprendre le turc. C’est finalement le meilleur des apprentissages puisque je suis contraint de parler turc pour être compris et comprendre. Mon oreille s’habitue doucement à la langue turque et commence même à y goûter ! Les observations que je fais dans ce café et que je vais faire les prochaines semaines donneront lieu à un article que j’espère croustillant !

Mardi soir, un cocktail est annoncé à l’Institut français, sans plus de précision. Alors que je suis de service toute la journée, je vois l’effervescence monter au fil des heures. On parle d’un film, d’un écrivain connu. La cour du consulat s’emplit, les clients francophones du café français sont plus nombreux. Finalement, le mystère s’éclaircit, à l’occasion de l’adaptation du film L’amour dure trois ans, tiré du roman éponyme de Frédéric Beigbeider, ce dernier est à Istanbul. Avant la projection du film à l’Institut français, un cocktail est offert. Ainsi donc, j’ai eu la chance, que dis-je, l’immense honneur de débarrasser de ses verres de vin vides à l’auteur de 99 francs.

Ferveur, le mardi soir, autour de Frédéric Beigbeider. Ferveur de deux autres ordres lundi.

Crime d’honneur

Lundi matin, 9h40, onzième audience, oui, onzième audience dans le procès d’Ahmet Yıldız. Ahmet Yıldız a été victime de ce qu’on a considéré être le premier crime d’honneur en Turquie visant quelqu’un pour son orientation sexuelle. Selon certain.es, après une décision prise par toute la famille, le père de Ahmet a tué par balle son fils, en plein cœur d’Istanbul, à Üsküdar, le 15 juillet 2008, avant de s’enfuir. Il a été vu pour la dernière fois au nord de l’Irak. Les membres de la famille d’Ahmet n’étaient pas présents aux obsèques (article en français). Quelques fois avant sa mort, Ahmet avait indiqué au procureur se sentir en danger, sans que rien ne soit entrepris pour le protéger par la police ou la justice turques. Depuis, un mandat d’arrêt international a été émis par la justice turque. Ou plus précisément, a failli être émis, a été perdu et a finalement été émis, faisant perdre quelques mois de plus au procès.

A nouveau, ce lundi, le public et en particulier les nombreux militants des droits des personnes LGBT dont j’étais n’a pas été admis dans la salle d’audience à l’exception de quelques personnes. Onzième audience qui a duré quelques minutes, s’achevant sur le constat que, dans la mesure où l’auteur présumé n’a pas été retrouvé, le procès ne peut avoir lieu … Un court rassemblement devant le palais de justice a permis de crier des slogans et dégainer les pancartes (photo du rassemblement, où vous me verrez dans un coin)
Les organisations LGBT ont réussi à mettre un pied dans le procès. Si la possibilité d’être partie civile leur a été refusé (ce qui aurait vraisemblablement possible en France), une femme blessée involontairement dans l’assassinat a accepté que son avocat soit justement l’avocat des associations LGBT stambouliotes, Fırat Söyle (qui se trouve être par ailleurs mon maître de stage). Ainsi, au moins, les associations LGBT peuvent suivre le déroulement du procès et avoir accès à toutes les informations et en informer les quelques médias turcs qui s’y intéresseraient.

Dernier élément sur ce sujet, il semblerait qu’à nouveau, début septembre, à Diyarbakır cette fois, un père ait tué son fils parce que son orientation sexuelle ne lui convenait pas (récit en anglais ici et ). Certains médias ont masqué le fait qu’il s’agirait d’un crime d’honneur, comme expliqué ici.

Football … au féminin

Pour finir sur une note positive, la ferveur du lundi soir était, en nombre bien plus importante. A l’occasion d’un match du championnat de football masculin turc, j’ai croisé, sur le chemin du retour chez moi, des centaines, que dis-je, des milliers de fans autour du stade et sur la route y menant. Jeunes, vieux, voilées ou non, en couple, seul.e ou en groupes, les amateurs et amatrices de football ce soir là, comme tous soirs de match de l’équipe de Besiktas, un des trois clubs d’Istanbul ont déferlé. Pendant les quinze minutes qui m’ont conduit chez moi, sur la route du stade, les flots de supporteurs et supportrices ne cessaient pas ! Les gens qui disent qu’il existe trois religions en Turquie, l’Islam, Atatürk et le football n’ont peut être pas tort …

Avis aux amatrices et uniquement aux amatrices de football, le 21 septembre 2011, dans le stade de Fenerbahçe, club d’Istanbul, seules les femmes et les garçons de 12 ans ont été admis à voir le match qui opposait Manisaspor à Fenerbahçe en raison des nombreux actes de violences commis par des supporteurs hommes … (article en français ici)

Pour Pınar Selek – contre l’homophobie

A propos, à Istanbul, je mange, je visite, je m’émerveille et marche mais autrement, comme dirait ma colocataire Sedef, quelle est mon excuse pour passer six mois dans cette merveilleuse cité ?

Pour faire court, je suis en stage dans le cadre de l’école d’avocat dont je suis l’élève (en stage PPI pour celleux qui connaissent ou voudraient connaître). L’idée de ce stage est donc, pour le futur avocat que je suis, de me frotter au monde de la justice et du droit ailleurs que dans le cadre douillet (?) et connu d’un cabinet d’avocat. Dont acte. La plupart de mes camarades sont en entreprise, dans les services juridiques, en France. Quelques uns dans des juridictions, des associations ou des syndicats. Pour quelques autres, catégorie à laquelle j’appartiens, ce PPI est l’occasion, une occasion en or de travailler à l’étranger, (re)découvrir son pays de cœur ou d’origine, réaliser un rêve de jeunesse, s’échapper, saisir une fois encore, pas la dernière, non, la chance de s’extraire de l’hexagone étant entendu que le métier d’avocat demeure encore principalement national. Finalement, ce n’était pas si court. Cela dit, comme dirait Pasqua et tant d’autres après lui, les promesses n’engagent que celleux qui les croient.

Donc, je suis à Istanbul pour les six prochains mois. Qu’y fais-je ? Initialement, je voulais travailler dans une ONG de droits de l’homme (organisation non gouvernementale) spécialisée dans le soutien aux demandeurs d’asile et aux réfugiés (hCa-RASP), dans la droite ligne de mon séjour en Egypte où, déjà, j’avais travaillé dans le service juridique d’une ONG dédiée à l’asile (Amera). Finalement, chez hCa-RASP, ce n’était pas possible. Je me trouvais, au mois d’avril 2012 quelque peu désemparé, deux mois avant le début de ce PPI.

En février, j’entends parler d’une soirée de soutien, à Paris, sur une péniche, pour Pınar Selek, sociologue et activiste turque et décide de m’y rendre, afin, peut être, de la rencontrer et de lui glisser deux mots sur mes recherches en Turquie. Pourquoi vouloir rencontrer, moi le « juriste », une sociologue ? Pınar Selek travaille, comme sociologue donc, sur un certain nombre de thèmes qui dérangent l’Etat turc : les prostitué·e·s et travailleur·se·s du sexe, les personnes transexuelles, les enfants des rues, les combattant·e·s du PKK, les arménien·ne·s, le service militaire … De ce fait, elle est accusée, trois fois de suite et acquittée, trois fois de suite, d’avoir, entre autres, commis un attentat au marché aux épices d’Istanbul qui a fait sept morts et plus de cent blessés. Aujourd’hui, Pınar Selek est en exil en France puisque la Cour de cassation a fait appel de son troisième, TROISIEME, acquittement !

A la fin de cette soirée du 24 février 2012, j’aborde donc Pınar Selek, très entourée, pour lui indiquer mon intérêt pour ses thématiques et pour que, éventuellement, elle m’indique le nom de tel·le avocat·e ou telle association qui l’aurait défendue et qui serait intéressé·e par un stagiaire français. Très simplement, Pınar Selek me donne son adresse mail et m’embrasse ! Exactement deux mois plus tard, le 24 avril 2012, je reçois un mail de Pınar Selek m’indiquant que je peux contacter une association de défense des personnes LGBT (lesbiennes, gais, bi et trans) qui aurait un stage juridique pour moi. Banco ! Quelle générosité de la part de Pınar Selek qui ne me connaît pas mais fait néanmoins tout pour me trouver un stage, et avec quel succès ! Qu’elle soit à nouveau ici remerciée ! Après un entretien et quelques échanges de mails, me voici donc en route pour Byzance !

Je poursuis après cette longue introduction ; je suis donc en stage chez SPoD (lien en turc), une jeune association fondée par des militant·e·s de Lambda (lien en turc). Lambda est une autre association réunissant des personnes LGBT (et autres encore!), cherchant à établir des lieux de sociabilité, de soutien, des liens entre personnes LGBT, comme peuvent l’être dans beaucoup de villes en France les centres LGBT. Certain·e·s de ses membres ont estimé qu’il était pertinent pour le mouvement homosexuel turc de se doter également d’une structure moins explicitement et principalement militante et plus « sérieuse », cherchant à documenter la situation des personnes homosexuelles en Turquie, comprendre et dénoncer, de façon argumentée, les discriminations sont elles sont victimes. Il s’agissait également d’intégrer les réseaux européens et mondiaux d’associations homosexuelles, de bénéficier de fonds et subventions pour travailler sur le futur, être force de dénonciation documentée, de proposition, de réflexion et d’action.

Au sein de SPoD, où je travaille donc depuis bientôt deux semaines, j’ai différentes tâches. La première, chronologiquement, consiste à affiner, à destination des parlementaires françai·se·s, le plaidoyer de SPoD pour l’introduction, dans la constitution civile à venir, d’une disposition contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Dans le mesure où, comme ailleurs voire plus, les personnes homosexuelles n’ont pas la vie facile du fait de leur orientation sexuelle et qu’elles se voient refuser emploi, logement ou autre de ce fait, il est apparu à SPoD qu’une disposition constitutionnelle serait la meilleure façon de garantir l’égalité de droits des personnes homosexuelles. Rien, pas même l’invocation de « l’ordre public », de la « morale publique » ne doit justifier une inégalité, des mauvais traitements, du harcèlement policier et judiciaire voire d’une diminution de peine du meurtrier d’un homme homosexuel sous prétexte que ce dernier aurait offensé sa dignité et sa virilité  …

A l’avenir, je serai aussi chargé de suivre l’actualité internationale en matière de droits des personnes LGBT, de suivre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des autres organismes internationaux de droits de l’homme ainsi que des juridictions nationales en matière de droits des personnes homosexuelles. Il s’agit pour SPoD de s’ancrer dans le paysage associatif, politique et juridique turc. La même démarche, requérant des contacts et liens avec les associations internationales ou locales de droits de l’homme et des personnes LGBT est en cours.

Je ne saurais terminer ce billet sans rappeler qu’en France également, alors que, selon les dires du gouvernement (lien), le mariage pour tous est pour bientôt, l’homophobie existe encore et fait des ravages. De façon générale, vous pouvez vous référer aux publications de l’association SOS Homophobie. Autrement, il vous rappeler, au delà de débats légitimes sur le mariage entre personnes de même sexe ou l’homoparentalité, que l’intolérance, le mépris, la haine contre les personnes homosexuelles demeurent.

« Le vagin est fait pour les rapports sexuels, pas l’anus » : cette phrase, splendide d’assurance, a été proférée par une conseillère municipale UMP de Toulouse, le 6 juillet 2012. Donc, tout autre pratique impliquant autre chose qu’un vagin (âmes sensibles s’abstenir, celle-ci par exemple) est proscrite ? Ses pratiquant·e·s indignes de respect ?

Autrement, un militaire, homosexuel, a été moqué, méprisé, abandonné alors même qu’il avait été violé. Après avoir été violé, il s’entend dire par sa hiérachie « J’étais sûr que ça allait arriver. Avouez que cela vous a fait plaisir. » Un dernier exemple, parmi énormément d’autres, venu des Etats-Unis, sur l’intolérance, le mépris qui accompagnent les personnes qui ont commis la faute immense de pas être attiré (seulement) par les personnes du sexe opposé.

La société française comme beaucoup d’autres également a de gros progrès à faire pour s’émanciper de l’injonction de virilité qui enferme et corrompt les garçons et les hommes, injonction au moins aussi vicieuse et violente que l’injonction de féminité qui s’abat à chaque instant sur femmes et filles.

ps : des mots bizarres parsèment mon texte, comme « celleux », contraction de « ceux » et « celles » ou encore prostitué·e·s. Il s’agit de mettre en mots l’idée selon lequel la langue n’est pas anodine mais révèle, même en creux, des normes, des hiérarchies: la langue est politique. Alors, pour utiliser un néologisme, je genrise mon texte, un petit peu. Un exemple de la méthode autant que de la démarche politique par ici : http://www.gisti.org/spip.php?article2443